Affected, spectacle dansé de Claire Croizé, chorégraphe

Posté dans REGARDER par kerbacho - Date : février 9th, 2008

Claire,

j’ai assisté à votre spectacle le 25 janvier à Maasmechelen. Je tenais à vous dire mon émotion et mon admiration. Je n’y connais rien en danse, mais suis sensible à certains spectacles plus qu’à d’autres. « Affected » m’a touché, alors que j’étais plutôt réticent au départ, notamment au cause du texte de présentation du spectacle que j’avais lu auparavant (on ne devrait jamais lire ces textes avant).

En entrant dans la salle et avant même que le spectacle commence, j’ai senti la tension qui émanait de vous, et qui culmine artistiquement dans la troisième partie, la plus admirable à mon goût. Quelle force ! Quelle cohérence !
Trop souvent dans les spectacles de danse je ne vois qu’un catalogue de gestes plus ou moins bien enchaînés. Ce n’est pas le cas pour « Affected ».
Vos trois interprètes sont exceptionnelles (j’ai admiré les « vrilles » répétées de Mariana Garzon Garcia, le rire de Claire Godsmark –il faut garder ça à mon avis, quoiqu’en disent les critiques– mais Varinia Canto Vila a quelque chose en plus, car elle incarne à la perfection cette tension excessive. Quelle virtuosité, quelle inventivité !
Les répétitions lancinantes des gestes, avec de subtils déphasages, font à la musique de Mahler un contrepoint parfois à la limite de l’insupportable pour le spectateur. Elles décapent le vernis de complaisance dont est recouvert cette musique archi-connue.
J’ai apprécié aussi la déconstruction de l’univers sonore vers la fin. Un peu brouillon peut-être, mais finalement rassurant après la froideur acérée et minérale de l’univers musical de Malher.

En regardant Varinia Canto Vila danser j’ai pensé à plusieurs reprises à des toiles de Francis Bacon, notamment celle(s) où apparaît un personnage à quatre pattes, et aussi à la scène finale du film Cobra Verde de Werner Herzog (voir ci-dessous), dans laquelle on voit marcher à quatre pattes au bord de la mer le même personnage que sur les toiles de Bacon.

La séquence des couvertures est également superbe, ubuesque. Pour moi, elle fonctionne comme un collage : par le seul fait de rouler sur le sol, le corps de la danseuse change de physionomie de façon tout à fait imprévisible et pourtant naturelle. Exactement comme on fait des bonhommes de neige en roulant de la neige. Ou comme on assemble les éléments d’un collage.

Photo: Raymond Mallentjer

Ce qui m’a moins plu, c’est la lumière du spectacle (sauf peut-être dans la troisième partie, où le bleu du justaucorps de Varinia est fascinant. Quelle belle trouvaille !). Je perçois aussi le titre (« affected ») comme en contradiction totale avec ce que je ressens. Cela me plonge dans des abimes de réflexion sur le rapport entre les affects (ce qu’on ressent, qui touche, qui affecte) et « affected » dans le sens que vous semblez utiliser, à savoir « Prendre les apparences de… » ou « Feindre ou exagérer (un sentiment, une qualité) ».

J’aurais encore des choses à dire sur le rapport avec la musique etc, mais je m’en tiens là…
Merci d’avoir lu jusqu’ici ce trop long mais très sincère témoignage de gratitude.

Je vous souhaite bonne continuation.

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La séquence fait 11 Mo. Je l’ai trouvée ici.

[extrait de la réponse reçue de Claire Croizé : « J'ai choisi le titre Affected pour ses deux sens, à la fois être touché par... vivre ses émotions mais aussi pouvoir les feindre comme le font Claire et Varinia. Ce qui est intéressant est que" l'artificiel", le faux, de par le contrôle des mouvements et du corps, donne au final une sensation d'authentique. C'est le théâtre ! »]