Né sans vie

Posté dans divers par kerbacho - Date : février 8th, 2008

En écoutant les informations ce matin j’ai été frappé de plein fouet par une nouvelle qui a priori n’aurait pas dû me toucher plus ou moins qu’aucune autre:
Une décision de la Cour de cassation relance le débat sur le statut des « enfants nés sans vie »
Un ou deux ans avant ma naissance, au début des années cinquante, ma mère avait accouché d’un enfant mort-né. Aujourd’hui, en français post-moderne, on dirait « enfant né sans vie ». Un enfant sans nom (tiens, à propos de ‘sans nom’, je viens de lire qu’on rééditait Missa sine nomine de Wiechert), un enfant sans sépulture, un enfant sans existence.

Dès la fin de mon enfance et durant mon adolescence, et peut-être au-delà, j’ai été obnubilé par cette absence/présence douloureuse et monstrueusement incompréhensible pour un enfant, découverte par une mention manuscrite portée dans le livret de famille, non pas par l’officier de l’état civil, mais, si je me souviens bien, par le curé de la paroisse. Cette mention n’apparaissait pas dans le corps du livret, mais figurait un peu clandestinement sur la dernière page, sans doute réservée aux notes.

J’en parlais souvent à ma mère qui n’éludait pas mes questions, mais ne s’y attardait pas non plus. Je me souviens lui avoir demandé si elle savait que l’enfant était mort. Non seulement elle le savait, mais elle avait continué de le porter, sans doute sur recommandation des médecins. En fait je ne sais presque rien de ce grand malheur. Clandestin et encombrant.
J’ai sans doute cherché à comprendre, mais c’était impossible.

Ma mère m’avait expliqué que le plus dur pour elle, à ma grande surprise, avait été l’absence de statut social, juridique et — sans doute le plus insupportable pour elle — religieux de ce non-être. Je pense qu’elle aurait approuvé cette décision de justice, qui accessoirement m’aura permis de « débloquer » ici ce souvenir pesant.

Mathilde sur une photo de carte d'identité, prise sans doute au début des années 1950
Il n’est pas improbable que cette photo dite d’identité, d’où émane une tristesse exceptionnelle sur le visage de ma mère, ait été faite à l’époque de ce drame.

Voici quelques extraits de l’article du Monde.fr :

Une décision de la Cour de cassation relance le débat sur le statut des « enfants nés sans vie »
LEMONDE.FR | 07.02.08 | 18h47 • Mis à jour le 07.02.08 | 19h45

[...] Dans trois arrêts rendus mercredi 6 février, la plus haute juridiction a estimé que « l’article 79-1 du code civil ne subordonnant l’établissement d’un acte d’enfant sans vie ni au poids du fœtus, ni à la durée de la grossesse, tout fœtus né sans vie à la suite d’un accouchement pouvait être inscrit sur les registres de décès de l’état civil ».

Jusqu’à présent, une circulaire de 2001, s’appuyant sur des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), précisait que la notion d’ »enfant sans vie » s’appliquait uniquement aux fœtus considérés comme »viables », c’est-à-dire nés après vingt-deux semaines d’aménorrhée ou pesant au moins 500 grammes. Seuls ces derniers étaient déclarés à l’état civil, les parents pouvant alors, notamment, organiser des obsèques.

[...] « Ce que dit la Cour de cassation, c’est qu’il n’y a aucune durée ou poids minimum inscrit dans la loi française ni dans une convention internationale pour faire inscrire à l’état civil un fœtus né sans vie », explique Me Chevallier, du cabinet d’avocats qui a défendu les parents qui avaient porté l’affaire devant la Cour de cassation. [...]

[...] la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire n’a fait que « rappeler que le code civil permet à l’officier d’état civil de mentionner les enfants morts-nés sur le livret de famille, de leur donner un prénom et d’organiser des obsèques ».

Les passages supprimés ont trait essentiellement aux questions liées au droit à l’avortement. Le texte de l’article est ici.

PS
Si sur la précédente photo de ma mère l’existence même du pendant d’oreille est incertaine, sur celle-ci au moins il n’y a pas de doute.