Sanjay Subrahmanyan & Ulhas Kashalkar @ Amsterdam

Posté dans ÉCOUTER, REGARDER par kerbacho - Date : novembre 25th, 2008

Samedi soir après une journée de travail exceptionnelle pour une fin de semaine et improbablement longue dans l’Evoluon d’Eindhoven, beau bâtiment futuriste des années 1960 remarquablement bien conservé, de 6 h du matin à 17 h, émaillée de quatre mini-conférences d’une heure chacune sur le bon vieux Formant (1978-2008 : Trente ans de Formant) en néerlandais et en duo improvisé avec un comparse qui présentait la version logicielle d’un excellent Formant virtuel millésimé 2008, je me suis laissé entraîner par mon penchant naturel, en dépit de la fatigue et du très mauvais temps, vers le Concertgebouw à Amsterdam (deux heures de route) où chantaient Ulhas Kashalkar et Sanjay Subrahmanyan, deux des plus grands chanteurs indiens en exercice et en pleine possession de leurs moyens.
Je pressentais que si je n’y allais pas, je n’aurais que des regrets. Et bien m’en a pris car j’ai passé une soirée mémorable. Grâce d’abord à la généreuse personne qui, en dépit de la cuisante frustration de ne pas pouvoir en être elle-même, m’a non seulement encouragé à ne pas renoncer à mes vélléités de faire ce déplacement extravagant, mais m’a habilement arrangé par téléphone un billet gratuit une heure avant le concert, ce qui a non seulement contribué à augmenter mon plaisir vaniteux de me pavaner aux frais de la princesse dans un endroit aussi prestigieux, mais m’aura surtout donné une belle leçon de confiance et d’amitié. Le concert n’aurait certainement pas été moins beau si j’avais payé mon billet, mais la nonchalance qui sied au passe-droit affûte les sens. Merci Béa.

Aravindha Padhamalar

Je n’aurai pas le temps ni les mots de dire ce soir à quel point ce concert était réussi. Ni d’analyser et de comprendre les mécanismes de cette puissante mais fragile jouissance. Sanjay était accompagné de quatre musiciens dont seul m’est connu Neyvali B. Venkatesh, vigoureux joueur de mridangam, rencontré à Bruxelles lors du concert des Mysore Brothers en mai dernier. J’ignore le nom du joueur de kanjira de même que celui de l’excellent violoniste au regard doux et un peu triste que j’ai déjà dû voir, peut-être sur YouTube, tant son visage me paraissait familier. Pas le temps de chercher…
Le choix du Raga Kapi chanté par Sanjay m’a bouleversé. C’est aussi le Raga du CD (de 1996) de la pochette ci-dessus (que je n’ai malheureusement pas). Comment qualifier le chant de Sanjay? Epoustouflant sans esbrouffe. La complexité et la richesse de son art n’en compromettent ni la subitilité ni la fraicheur. C’est excitant, dynamique, lumineux, varié, ludique, sophistiqué mais toujours plaisant, parfaitement calibré… Allons, puisque le temps me manque, risquons une formule à l’emporte-pièce (notée sur un bout de papier pendant le concert) : le plus beau concert que j’aie jamais vu !

En deuxième partie, Ulhas Kashalkar, accompagné par Suresh Talwalkar, son joueur de tabla attitré ainsi que par son propre jeune fils pour le chant, n’a malheureusement pas pu me toucher dans les mêmes proportions. La fatigue, peut-être, de mon côté, mais aussi l’absence totale de prise de risque sur la scène. Le Raga Malkauns en tilvada tal semblait parfaitement démoulé, frais éclos du moule des Malkauns, trop lisse, trop bien cuit, comme un enregistrement de CD en studio, malheureusement dépourvu de souffle et de magie. Raga Sohini, heureusement moins austère, a permis d’échapper à cette ambiance un peu lugubre. Comme dans presque chaque concert, le tabla jouait fort, trop fort à mon goût. Et Suresh Talwalkar n’a pas pu s’empêcher de faire signe à deux reprises aux techniciens pour leur demander de monter le son de son instrument qui pourtant claquait déjà trop fort.
Un dernier petit détail comme on aime les relever dans les concerts : j’observais récemment l’arrogance du joueur de tabla installé pontificalement au milieu de la scène lors du concert dans l’atelier de Marcel Hastir, tandis que le soliste violoniste était repoussé sur le côté de la scène, mêmeun peu en retrait du tabliste. Suresh Talwalkar, lui, était assis à droite d’Ulhas Kashalkar, tourné vers lui comme il se droit à angle droit, face au joueur d’harmonium.

Pour dire le fond de ma pensée, au terme d’une confrontation aussi directe, il ne fait aucun doute pour moi que le chant carnatique tient la dragée haute au chant hindoustani.