Au début des années 1970, alors que je venais d’acheter mon premier appareil photo reflex (Minolta SRT101), j’essayais de photographier mes proches tels qu’ils étaient, du moins tels que je les voyais. Or pour eux c’était impensable en habits de travail, dans leur atelier, dans leur cuisine ou dans leur jardin. J’en ai un peu souffert.
A moins de faire fi de ses réticences, prendre une photo de mon grand-père Nicolas, que j’aimais beaucoup et avec qui je m’entendais pourtant très bien, n’était donc pas facile. Je ne souhaitais ni n’osais le brusquer. La photographie était étrangère à notre monde, du moins dans la vie de tous les jours. Je ne sortais l’appareil qu’après de longs préambules et n’appuyais que rarement sur le déclencheur, lorsque j’avais la conviction qu’il fallait le faire. Cela évite de faire trop de photos, mais ne suffit pas pour en faire de bonnes.
J’ai commencé ce bloc-notes en juin 2005 avec une photo de Nicolas, dans son atelier, puis une deuxième. Il n’y en a pas beaucoup d’autres.
A plusieurs reprises j’ai rodé autour de sa menuiserie dans l’espoir de le photographier de l’extérieur à son insu. Malheureusement la marge de manoeuvre était limitée, la luminosité faible, les fenêtres, dont certaines étaient doubles, couvertes de poussière de bois.
En cette veille de Saint-Nicolas 2006, je ressors avec plaisir cette photo longtemps considérée comme ratée. Je ne la gardais que parce que j’en avais si peu d’autres. Faite depuis l’encoignure de la fenêtre des deux autres photos, elle montre au premier plan l’étau devant lequel Nicolas se tient pour scier et pour avoyer. Au fond en haut, on distingue le merveilleux et brinquebalant arbre de transmission par courroie qui entraînait ses meules (au fond, au milieu, en bas) et son tour à bois (au fond à droite).
C’est un peu ça, l’immortalité.