Patdip à Groningen

Posté dans ÉCOUTER, HINDOUSTAN, VOIR par kerbacho - Date : novembre 6th, 2009

Les trois concerts suivants de la mini-tournée de Reena Shrivastava et Kousic Sen ont largement tenu et confirmé la promesse des deux premiers. Leut, Aachen, Bruxelles, Amsterdam, Groningen, un périple riche en kilomètres (plus de mille), mais surtout en nouvelles expériences instructives, en rencontres lumineuses et chaleureuses, en bons moments, en franches rigolades, et en contradictions diverses.
Le concert de Bruxelles a été sonorisé malgré l’exiguïté des lieux, tandis que celui de Groningen était 100% acoustique, alors que l’endroit était bien deux fois plus vaste que la galerie bruxelloise. Quel constraste ! Les deux sont possibles, avec chacun son ambiance particulière, et des sujets de discussion à l’infini.
Reena Shrivastava et Kousic Sen à Groningen _ 1er novembre 2009
Pour celui d’Amsterdam, compte tenu des lieux, la nécessité de sonoriser ne fait de doute pour personne. Et pourtant, malgré la compétence supposée du personnel et la qualité de l’équipement de la salle, la sonorisation a posé des problèmes, comme d’habitude. Une fois de plus en raison d’un malentendu entre artistes et gens de la sonorisation, enfermés les uns et les autres dans leurs certitudes. Je n’entre dans les détails que pour en garder des traces et des souvenirs qui serviront peut-être une prochaine fois, sans illusions sur ce point, cependant, car il est rare que l’expérience serve quand on en a besoin.
Satisfaite dès le début des réglages du son dans la salle — et il est vrai que grâce au matériel disponible au KIT, le son y est très clair — Reena a cru bon de jouer sans les retours. Or au beau milieu de la première partie, au début de la composition rapide, quand le tabla a commencé à donner un peu de volume, elle a eu la sensation de ne plus s’entendre assez. Et elle a demandé que l’on augmente le volume (sans préciser). À partir de là et jusqu’à la fin de la première partie, le charme était pour moi rompu. Le sonorisateur, au lieu de faire usage de sa jugeote et de monter le son dans les moniteurs restés éteints jusque là, a monté le son dans la salle où le niveau est très vite devenu gênant.
Quand je lui ai demandé à l’entracte pourquoi il avait fait cela, il m’a répondu sans sourciller : « Mais c’est elle qui l’a demandé ! » Faut-il être obtus pour réagir ainsi ! Il aurait donné simplement un peu de retour, tout serait resté dans les limites, et au lieu de parler ici de ces tracas, je pourrais parler de musique.

À propos de musique, précisément, j’ai été frappé à chacun de ces concerts par le fait que la composition lente (chaque fois en jhaptal) offre chez Reena un contraste extraordinairement agréable avec le Jod qui précède et culmine avec une grande densité dans quelque chose qui n’est pas un Jhalla (car elle ne joue le Jhalla qu’à la fin de la composition rapide, ce qui n’est pas étranger à la tradition de son style Seni-Maihar). L’accompagnement très aéré de Kousic Sen rend justice à la légèreté de cette fine dentelle mélodico-rythmique, trouée de respirations bien dosées, de silences apaisants et de motifs discrètement décoratifs.
Nouveau contraste ensuite avec la composition rapide, nettement plus lourdement charpentée par des taans et des tihais qui focalisent toute l’attention sur le temps fort (sam). A l’excès parfois, surtout quand la sono est poussée trop loin.

Le calibre de l’alap aussi bien à Bruxelles (Yaman Kalyan) qu’à Amsterdam (?) est impressionnant de classicisme. Je n’avais plus entendu au sitar de présentation de raga aussi patiente et aussi bien charpentée depuis longtemps. En plus Reena Shrivastava ne craint pas de faire durer le plaisir.

Au concert de BXL j’ai énormément apprécié sa présentation de Raga Charukeshi (dont je ne raffole pas d’ordinaire) entre autres parce que j’ai immédiatement reconnu (sauf erreur de ma part) la très belle composition jouée (et peut-être composée) par Ravi Shankar sur un LP (ce n’est donc pas le clip que l’on trouve sur YouTube) et utilisée par Maurice Béjart dans son très beau ballet Bhakti (dont je mettrais bien des séquences en ligne ici un de ces jours).
Kousic Sen à Groningen _ 1er novembre 2009 Reena Shrivastava à Groningen _ 1er novembre 2009
Le concert de Groningen, merveilleusement bien organisé par Klaas Bouma et son équipe au Jonge Held, une ancienne ferme transformée en crèche privée, fermée le dimanche, se tenait l’après-midi. Ce fut l’occasion d’entendre en concert Raga Patdip, superbement joué tout en douceur par la sitariste et accompagné tout en caresses par le tabliste. L’absence volontaire et consentie de sonorisation n’a été que bénéfique. Klaas Bouma, qui a une bonne connaissance de la musique classique indienne et une très belel collection d’enregistrements, qui se rend en Inde pour des festivals comme le Saptak, en Angleterre pour le festival Darbar, est formel : ce fut le plus beau concert de musique instrumentale qu’il ait jamais entendu.