Modestie

Posté dans ÉCOUTER, HINDOUSTAN par kerbacho - Date : mars 31st, 2012

Les joueurs de tabla ne sont pas toujours des modèles de modestie ni de discrétion. Quand ils le sont, c’est un plaisir si grand qu’il ne faudrait jamais manquer de le mentionner expressément. En voici un exemple parfait: Zakir Hussain rentre sur la pointe des pieds à 4’30.

Niladri Kumar, le sitariste, n’est pas mal non plus… quand il laisse à d’autres la fusion et les sitars électriques.
La prise de vue est si irritante qu’il vaut mieux couper l’image. On n’est pas obligé de regarder, on n’écoutera que mieux.

D’ailleurs, la prise de son est particulière. Hormis le fait que l’on entend ici le signal enregistré par le micro du caméscope depuis la salle, avec beaucoup de bruit de fond (et même des sirènes !) et un effet de pompage dû à la compression automatique du caméscope, il n’est pas inintéressant de remarquer que le sitar n’est pas amplifié par un microphone sur pied placé comme d’habitude à une quinzaine de centimètres de l’instrument, mais par un microphone de proximité, accroché peut-être au chevalet de l’instrument (on distingue une tache claire près du pied inférieur du chevalet. Je doute que ce soit un micro de contact, car on entendrait davantage les attaques du mizrab contre les cordes).

La faible résolution de l’image ne permet pas d’en dire beaucoup plus. À l’oreille, on se rend bien compte que l’on n’est pas très loin du sitar électrique. Le son de l’instrument acoustique est comme grossi à la loupe. Ce n’est pas désagréable, séduisant même, mais je me demande dans quelle mesure cet « effet », car c’en est un, au même titre que la réverbération dont on use et abuse dans les prises de son, ne masque pas quelque chose.

À titre de comparaison, les notes tenues de Nikhil Banerjee, amplifiées par un microphone ordinaire, paraissent bien courtes, et quand arrivent ses meends à la fin des longues tenues, ils n’ont plus la puissance artificiellement musclée par l’électricité de l’ornementation de Niladri Kumar.
Les meends de N.B. n’en sont heureusement pas moins beaux, leur dosage, leur contour, leur subtilité et leur justesse n’en sont pas moins parfaits.

Et en plus, on a chez N.B. la magie du chant des tarafs, ce choeur de cordes de résonance si propre au sitar, qui se met à chanter précisément quand s’éteint la résonance de la note principale jouée sur une corde (grave). Par exemple vers 1mn26, puis vers 1min47 et suivantes. Cruellement absent du jeu de Niladri Kumar, ce halo d’harmoniques, qui se superposent discrètement à la mélodie, donne chez N.B. une épaisseur onctueuse aux délinéaments du raga.
Ce qui tendrait à confirmer mon intuition selon laquelle toute innovation se traduit aussi par la perte d’un acquis.

Petits soldats boostés

Posté dans divers, ÉCOUTER, REGARDER par kerbacho - Date : mars 27th, 2012

Pour cause de très malencontreux changement de site et du mode de codage (iframe), il semble qu’il n’est plus possible d’intégrer ici des extraits du site Arte Radio, il faut donc suivre ce lien pour écouter.

Parmi les nombreux points remarquables de ce double témoignage croisé, je suis surpris par l’usage qui y est fait du mot « boosté ».

Que peut bien vouloir signifier ce mot dans la bouche d’une mère, plus précisément la mère d’un soldat.

En pensant « comme le français qu’on parle est devenu moche » je me suis souvenu de cet article intitulé Comment la France est devenue moche. Ça va ensemble.

« I could throttle the last incompetent sound engineer with the power cable of the last loudspeaker »

Posté dans CARNATIC, ÉCOUTER par kerbacho - Date : mars 18th, 2012

Sanjay Subrahmanyan kutcheris.com
Sur son blog, le chanteur carnatique Sanjay Subrahmanyan témoigne en toute simplicité (comme d’habitude) de son expérience après un concert acoustique à Londres, dans une salle connue pour son excellente acoustique. Il conclut en écrivant :

Times have changed and we need to adapt. A similar concert happening in India is really unthinkable at the moment. The mikeless era also produced music which was significantly different from the modern day. There was difference in the aesthetic quality in the music of say a Vina Dhanammal who performed at primarily home and Chembai Vaidyanatha Bhagavatar who’s ringing voice had to be heard by a 1000 people. With the advent of mics music has also changed. Give me a Wigmore Hall and I can sing without mics for an hour or more but otherwise I live in an age of electricity, internet, instant communication and I need my mics as much as I need these. However detoxing at the Wigmore was really worth it especially when an Englishman came up to me and said « You gave us Bhava and we got Rasa!! »

Je recommande vivement la lecture intégrale de son billet, ainsi que le témoignage d’un auditeur (Bruno Kavanagh) de ce même concert (le point de vue du spectateur n’est-il pas, en fait, plus important que celui du musicien?), à qui j’emprunte d’ailleurs la citation parodiée du titre ci-dessus qui renvoie à Jean Meslier. Il faut lire aussi le cocasse récit de ses mésaventures hospitalières consécutives à une concert carnatique

Puissent des artistes éclairés et courageux comme Sanjay faire beaucoup d’émules. Y a de l’espoir, même s’il est ténu.

« Je voudrais, et ce sera le dernier et le plus ardent de mes souhaits, je voudrais que le dernier des rois fût étranglé avec les boyaux du dernier prêtre. »

« Il n’y a plus aucun bien à espérer, ni aucun mal à craindre après la mort. Profitez donc sagement du temps en vivant bien et en jouissant sobrement, paisiblement et joyeusement, si vous pouvez, des biens de la vie et des fruits de vos travaux, car c’est le meilleur parti que vous puissiez prendre, puisque la mort met fin à toute connaissance et à tout sentiment de bien ou de mal. »

Mémoire des pensées et sentiments de Jean Meslier − 1664-1729

Carnage

Posté dans divers par kerbacho - Date : mars 10th, 2012

Après les menaces qui pèsent sur le Tropentheater et le Tropenmuseum d’Amsterdam (convoités, semble-t-il, par l’industrie hôtelière), on vient de m’informer de celles qui obscurcissent l’horizon du Zuiderpershuis, à Anvers. Ces deux institutions subventionnées étaient parmi les dernières à programmer régulièrement et sérieusement de la musique classique indienne en Europe. Leur fermeture n’est pas exclue, la poursuite de leurs activités actuelles en tout cas gravement compromise.

Comme depuis quelques années je travaillais avec l’une et l’autre pour l’élaboration de leur programmation en matière de musique indienne, je ne peux m’empêcher de me sentir visé.

Touché.

Et coulé.

Je ne me faisais aucune illusion face à la baisse inexorable de la fréquentation de ces concerts, mais maintenant qu’il semble qu’on veuille tirer l’échelle pour de bon, je suis désemparé. Anéanti.

Je doute de l’intérêt de pétitions comme celle-ci, mais puisqu’elle existe, autant la signer. Signez-la, faites-la signer.

Le vrai problème est ailleurs, mais je ne n’ai pas le cœur à le disséquer, ni maintenant, ni ici.

Le libéralisme cynique avance, triomphant, il entraîne avec lui des cohortes brunes de plus en plus assurées, l’heure est peut-être venue de ressortir mes vieilles cassettes.