Le passager sans tête et les hydronymes

Quand j’étais gamin, j’ai eu le privilège de partir en vacances l’été avec certains de mes oncles et tantes. J’adorais ces longs voyages sur les départementales de France au cours desquels je notais sur un carnet le nom des villes et des villages traversés, ainsi que des fleuves et des rivières quand ils étaient indiqués. Ces litanies où les noms de saints et de saintes se mêlaient aux toponymes païens sonnaient comme de la poésie à mes oreilles. Je notais aussi le numéro de département des voitures que nous croisions ou dépassions, faisant du Perec peut-être sans le savoir.
Aujourd’hui encore, je suis toujours un peu déçu quand, sur la route, au passage d’une rivière, il n’y a pas de panneau pour l’identifier. À l’inverse, je me réjouis de retrouver des noms familiers ; ainsi chaque fois que je vais à Cologne, je me réjouis de passer sur un petit pont où l’autoroute croise l’Inde (un affluent de la Rur puis du Rhin, qui prend sa source en Belgique).

Il existe près de Dijon une rivière ou un ruisseau, dont le nom est La Femme sans tête et c’est au panneau qui l’indique que je pense en découvrant cette photo (plutôt décoiffante). C’est aussi le titre du premier recueil de collages (1929) de Max Ernst : La femme 100 têtes. Je me suis toujours demandé s’il y avait un rapport entre le nom de cette rivière et cette oeuvre (probablement essentielle dans l’histoire de l’art, certainement pour moi-même).

Photo Antoine M.

Sur l’autoroute qui conduit vers le sud-est de la France, je suis passé souvent en voiture à côté du panneau qui signale ce cours d’eau. Un jour je me suis même arrêté pour le photographier. Ma photo, dépourvue d’intérêt en elle-même, est maintenant quelque part au fond d’un carton, inaccessible en ce moment. Je la chercherai à l’occasion. Pour faire vite, j’ai eu l’idée d’aller chercher le panneau avec l’extraordinaire fonction Street View dans Google Maps. Et là je me suis aperçu qu’en raison des travaux d’élargissement de l’autoroute, le panneau avait disparu !
Il semble même que la rivière elle-même ait disparu, car Google (Maps) qui trouve tout (cliquer sur le lien StreetView) ne connaît plus de ruisseau sous ce nom, seulement un « Canal Femme sans tête ». J’ai arpenté l’autoroute dans les deux sens en cliquant sur Google Maps, en vain. Cela signifie-t-il que la Femme sans tête coule désormais dans des tuyaux en béton enterrés ?

Non, heureusement !
Si j’en crois ce document, la providence préfectorale a veillé au… drain :

Si ces instructions ont été respectées, elle coule toujours à l’air libre.
Un peu plus loin, sur la même autoroute, il y avait un autre panneau signalant une Sans fond ! Si ma mémoire est bonne, celui-là existe encore et je crois même l’avoir noté l’été dernier, mais je ne l’ai pas retrouvé dans StreetView…

En guise de compensation, voici un passage aquatique de la préface écrite en 1929 par André Breton pour la Femme 100 têtes de Max Ernst.

Quelques liens vers quelques collages :
http://www.tarana.be/sarod/?page_id=175
http://www.lastfm.fr/user/lalea_alea/journal
http://www.spamula.net/blog/2004/07/misfortunes_of_the_immortals_a.html
http://www.kb.nl/bc/koopman/1926-1930/c53-fr.html
http://www.art-pjm.com/fiche-actualite.php?VARchroniquesID=6

Inutile de chercher sur Google Maps le panneau « Inde » entre Aix-la-Chapelle et Cologne, car StreetView c’est pas opérationnel en Allemagne. J’ai retrouvé en revanche une photo faite par V. non loin de là, sur l’autoroute d’Aix à Cologne,  de la spectaculaire centrale thermique alimentée par le lignite de Garzweiler.

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