Clown

«

Un jour.
Un jour, bientôt peut-être.
Un jour j’arracherai l’ancre qui tient mon navire loin des mers.
Avec la sorte de courage qu’il faut pour être rien et rien que rien, je lâcherai ce qui paraissait m’être indissolublement proche.
Je le trancherai, je le renverserai, je le romprai, je le ferai dégringoler.
D’un coup dégorgeant ma misérable pudeur, mes misérables combinaisons et enchaînements “de fil en aiguille”.
Vidé de l’abcès d’être quelqu’un, je boirai à nouveau l’espace nouricier.
À coups de ridicules, de déchéances (qu’est-ce que la déchéance?), par éclatement, par vide, par une totale dissipation-dérision-purgation, j’expulserai de moi la forme qu’on croyait si bien attachée, composée, coordonnée, assortie à mon entourage et à mes semblables, si dignes, si dignes, mes semblables.
Réduit à une humilité de catastrophe, à un nivellement parfait comme après une intense trouille.
Ramené au-dessous de toute mesure à mon rang réel, au rang infime que je ne sais quelle idée-ambition m’avait fait déserter.
Anéanti quant à la hauteur, quant à l’estime.
Perdu en un endroit lointain (ou même pas), sans nom, sans identité.

CLOWN, abattant dans la risée, dans le grotesque, dans l’esclaffement, le sens que contre toute lumière je m’étais fait de mon importance.
Je plongerai.
Sans bourse dans l’infini-esprit sous-jacent ouvert à tous,
Ouvert moi-même à une nouvelle et incroyable rosée
à force d’être nul
et ras…
et risible…
»    Henri Michaux    L’ Espace du dedans

Cité par blessed (merci !), je reprends ce texte ici parce que touché par des passages comme « mes misérables combinaisons et enchaînements “de fil en aiguille” » ou « une humilité de catastrophe », et puis aussi parce que la fonction de recherche de ce débloque-notes se bloque sur les commentaires, ce qui est évidemment regrettable. Il serait peut-être temps d’installer la nouvelle version de WordPress.

2 Responses to “Clown”

  1. mireille écrit :

    Michel Leiris notait dans son Journal le 12 novembre 1943 : <> (Sartre, l’Etre et le Néant, p. 133). Michel Leiris, Journal 1922-1989, NRF Gallimard, 1992, p. 385.

  2. mireille écrit :

    La citation qui a disparu est : « La réalité humaine est dépassement perpétuel vers une coïncidence avec soi qui n’est jamais donnée. »

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