Modestie

Les joueurs de tabla ne sont pas toujours des modèles de modestie ni de discrétion. Quand ils le sont, c’est un plaisir si grand qu’il ne faudrait jamais manquer de le mentionner expressément. En voici un exemple parfait: Zakir Hussain rentre sur la pointe des pieds à 4’30.

Niladri Kumar, le sitariste, n’est pas mal non plus… quand il laisse à d’autres la fusion et les sitars électriques.
La prise de vue est si irritante qu’il vaut mieux couper l’image. On n’est pas obligé de regarder, on n’écoutera que mieux.

D’ailleurs, la prise de son est particulière. Hormis le fait que l’on entend ici le signal enregistré par le micro du caméscope depuis la salle, avec beaucoup de bruit de fond (et même des sirènes !) et un effet de pompage dû à la compression automatique du caméscope, il n’est pas inintéressant de remarquer que le sitar n’est pas amplifié par un microphone sur pied placé comme d’habitude à une quinzaine de centimètres de l’instrument, mais par un microphone de proximité, accroché peut-être au chevalet de l’instrument (on distingue une tache claire près du pied inférieur du chevalet. Je doute que ce soit un micro de contact, car on entendrait davantage les attaques du mizrab contre les cordes).

La faible résolution de l’image ne permet pas d’en dire beaucoup plus. À l’oreille, on se rend bien compte que l’on n’est pas très loin du sitar électrique. Le son de l’instrument acoustique est comme grossi à la loupe. Ce n’est pas désagréable, séduisant même, mais je me demande dans quelle mesure cet « effet », car c’en est un, au même titre que la réverbération dont on use et abuse dans les prises de son, ne masque pas quelque chose.

À titre de comparaison, les notes tenues de Nikhil Banerjee, amplifiées par un microphone ordinaire, paraissent bien courtes, et quand arrivent ses meends à la fin des longues tenues, ils n’ont plus la puissance artificiellement musclée par l’électricité de l’ornementation de Niladri Kumar.
Les meends de N.B. n’en sont heureusement pas moins beaux, leur dosage, leur contour, leur subtilité et leur justesse n’en sont pas moins parfaits.

Et en plus, on a chez N.B. la magie du chant des tarafs, ce choeur de cordes de résonance si propre au sitar, qui se met à chanter précisément quand s’éteint la résonance de la note principale jouée sur une corde (grave). Par exemple vers 1mn26, puis vers 1min47 et suivantes. Cruellement absent du jeu de Niladri Kumar, ce halo d’harmoniques, qui se superposent discrètement à la mélodie, donne chez N.B. une épaisseur onctueuse aux délinéaments du raga.
Ce qui tendrait à confirmer mon intuition selon laquelle toute innovation se traduit aussi par la perte d’un acquis.

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